04 Sep 2024 / Ethique
Manifestations des populations africaines face aux difficultés socio-économiques et demandes de bonne gouvernance : préoccupations concernant la répression croissante des organisations de la société civile (OSC), des activistes et des journalistes en Afrique
L'Organisation régionale africaine de la Confédération syndicale internationale, la CSI-Afrique (www.ituc-africa.org), salue avec nostalgie et apprécie à leur juste valeur les contributions des organisations et mouvements de masse fondateurs des nations africaines dans la lutte pour la décolonisation du continent, qu'il s'agisse des syndicats, des associations communautaires, des groupes d'agriculteurs, des associations d'étudiants, des politiciens, des activistes, des journalistes, des femmes ou des jeunes.
Cette carte blanche est aussi consultable sur le site de la CSI-Afrique.
L’Organisation régionale africaine de la Confédération syndicale internationale, la CSI-Afrique (www.ituc-africa.org), salue avec nostalgie et apprécie à leur juste valeur les contributions des organisations et mouvements de masse fondateurs des nations africaines dans la lutte pour la décolonisation du continent, qu’il s’agisse des syndicats, des associations communautaires, des groupes d’agriculteurs, des associations d’étudiants, des politiciens, des activistes, des journalistes, des femmes ou des jeunes. Nous rappelons que la victoire sur le colonialisme et l’apartheid a été chèrement acquise, au prix de la sueur, des larmes et du sang, et que certains de nos martyrs ont accepté la mort comme un sacrifice suprême. Ils ont apporté leurs contributions et consenti des sacrifices pour que l’Afrique prenne les rênes de son destin et guide ses pas vers une liberté politique, culturelle, environnementale et socio-économique, garantissant ainsi la paix, le progrès, une prospérité partagée et la justice sociale à ses habitants.
Pour de nombreuses raisons, l’Afrique reste confrontée au défi de réaliser ses aspirations postcoloniales et celles liées à ses luttes de décolonisation. Néanmoins, le mouvement syndical africain exhorte ses membres et tous les peuples à ne pas désespérer ni se lamenter, mais à continuer d’apporter les contributions nécessaires pour faire avancer la lutte, en collaboration avec d’autres acteurs progressistes, étatiques et non étatiques, afin de construire une Afrique au service de tous ses peuples. Nous sommes heureux que nos populations, les acteurs non étatiques et leurs organisations continuent à faire preuve de résilience et à exiger des changements dans leurs sociétés et leurs systèmes respectifs, en utilisant diverses méthodes. Nous saluons leur ténacité et leur solidarité.
Toutefois, la CSI-Afrique est préoccupée par le fait que les capacités et les possibilités des acteurs non étatiques et des défenseurs des droits de l’homme d’apporter leur contribution à la réalisation des aspirations du continent sont l’objet d’attaques répétées de la part de certains gouvernements africains. Un cas récent et problématique est celui du gouvernement kenyan qui a qualifié certaines organisations de la société civile de commanditaire du mouvement de protestation récent de la génération Z et les a accusées de chercher à le déstabiliser. Au Nigéria, les agences gouvernementales ont confisqué des comptes bancaires de certaines personnalités et les ont déclarées persona non grata, accusées d’avoir financé les manifestations contre la mauvaise gouvernance qui ont eu lieu entre le 1er et le 10 août. Au Zimbabwe, le gouvernement a arrêté des dirigeants d’organisations de la société civile et de syndicats sous prétexte d’empêcher de prétendues manifestations lors du sommet des chefs d’État de la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC) qui s’est tenu à Harare.
Les journalistes, en particulier les journalistes d’investigation, les activistes et les manifestants, n’ont pas été épargnés. Plusieurs journalistes ont été raflés à leur domicile, enlevés et arrêtés dans des conditions dignes de la Gestapo aux petites heures du matin. Ils ont été placés sous surveillance, emmenés vers des destinations inconnues, et se sont vus refuser la protection juridique ainsi que le droit d’être représentés. La criminalisation de l’activisme citoyen par ces gouvernements africains et d’autres est alarmante et inacceptable.
La CSI-Afrique estime que ces accusations et ces actions à l’encontre des OSC, des journalistes, des activistes et des citoyens sont lourdes de conséquences et dangereuses. Nous les rejetons et demandons aux gouvernements kenyans, nigérians, zimbabwéens et aux autres gouvernements africains de repenser et de revoir leurs approches et leurs actions concernant les questions de gouvernance interne, plutôt que de chercher des boucs émissaires. Nous souhaitons également réaffirmer que les manifestations sont des outils permettant de garantir la participation des citoyens à la démocratie et de s’assurer que les responsables rendent des comptes. Nous affirmons que le fait d’aider les citoyens à participer activement à la gouvernance, notamment en soutenant l’organisation de manifestations, n’est pas un crime et ne doit pas être érigé en infraction pénale. Les gouvernements ne doivent pas toucher aux OSC, aux journalistes et aux activistes. Nous demandons aux gouvernements de libérer immédiatement et sans condition toutes les personnes appréhendées, notamment les journalistes, les activistes et les manifestants, et d’engager de véritables procédures judiciaires transparentes à l’encontre des personnes prétendument inculpées par les gouvernements.
Par ailleurs, la CSI-Afrique a toujours soutenu qu’un changement de régime dans une démocratie ne devait se faire que par les moyens constitutionnels et légaux prévus dans les différentes démocraties du continent. Nous continuerons à nous opposer à toute tentative de changement de gouvernement par des moyens anticonstitutionnels. Nous resterons une voix robuste qui milite pour la démocratie participative et la bonne gouvernance. La CSI-Afrique affirme qu’elle ne tolérera pas les mercenaires politiques, les agents provocateurs, les propagandistes et les manipulateurs, qu’ils soient internes ou externes. Nous n’éprouverons aucun remords à l’idée de faire en sorte que l’Afrique profite à tous les Africains et à tous ceux qui l’habitent et contribuent à sa prospérité.
La CSI-Afrique désapprouve cependant la qualification de « sponsorisée » concernant l’opposition des citoyens aux politiques et actions nuisibles du gouvernement. En tout état de cause, les citoyens, en particulier les jeunes (dans les cas du Kenya et du Nigeria), ont exprimé leur opposition aux politiques qui ont déclenché les manifestations. Ils ont également notifié suffisamment à l’avance à leurs gouvernements leur intention de protester contre les politiques et les actions qui risquaient de les léser. Les jeunes auraient mis fin aux manifestations si leurs gouvernements les avaient écoutés et avaient agi en conséquence. Le cas du Zimbabwe témoigne d’un état de paranoïa croissant et dangereux, que nous rejetons.
La CSI-Afrique est consciente du danger que représente un silence complaisant lorsque des individus, des militants et des organisations partisans de la démocratie et de la bonne gouvernance sont taxés négativement, apparemment dans le but de les traîner en justice, et que personne ne lève la voix pour les défendre. Nous savons que demain, notre organisation pourrait être qualifiée d’ennemie de l’État en raison de notre engagement à amener nos gouvernements africains à rendre des comptes et à apporter notre contribution à la transformation commune du continent. Nous pensons que la démocratie et la gouvernance en Afrique ne peuvent progresser et répondre à nos aspirations de décolonisation, de libération et de lutte contre l’apartheid que si les espaces de libertés civiles ne sont pas restreints, compromis, criminalisés et réduits à néant.
Nous demandons instamment aux gouvernements du Kenya, du Nigeria et du Zimbabwe, ainsi qu’à tout autre gouvernement africain adoptant des mesures punitives à l’encontre des organisations de la société civile, de s’abstenir de telles actions. Nous les encourageons plutôt à écouter les demandes de leurs populations et à prendre des mesures qui démontrent qu’ils sont attentifs à leurs préoccupations et qu’ils les écoutent effectivement. Une approche plus pratique pour assurer la stabilité, la paix et le progrès à long terme consisterait à s’attaquer aux problèmes socio-économiques sous-jacents à l’origine des manifestations, en atténuant ou en inversant non seulement les effets de l’augmentation du coût de la vie, mais aussi ceux des politiques fiscales excessives et inhumaines et des mesures d’austérité.
La CSI-Afrique est solidaire des peuples du Kenya, du Nigeria et du Zimbabwe, ainsi que d’autres Africains, journalistes, activistes et organisations de la société civile, dans leur lutte pour une bonne gouvernance inclusive et partagée. Nous appelons nos gouvernements à respecter les libertés fondamentales d’association, de réunion et d’expression telles qu’elles sont inscrites dans les constitutions nationales et dans les instruments continentaux et internationaux relatifs aux droits de l’homme auxquels le Kenya, le Nigeria, le Zimbabwe et d’autres pays africains sont parties. La réussite de l’Afrique sera une réalité !
Déclaration signée Akhator Joel ODIGIE, Secrétaire général de la CSI-Afrique et publiée à Lomé, le 29 août 2024.