La FGTB Transport (Union belge du transport, UBT) et l’IFSI collaborent au Kenya avec les syndicats des routiers KLDTDU (1) et celui des dockers DWU (2) afin de les renforcer, d’accroître leur capacité de négociation et d’améliorer les conditions de travail.

La FGTB Transport (Union belge du transport, UBT) et l’IFSI collaborent au Kenya avec les syndicats des routiers KLDTDU (1) et celui des dockers DWU (2) afin de les renforcer, d’accroître leur capacité de négociation et d’améliorer les conditions de travail. « Le syndicat des dockers est déjà très bien structuré, il peut aider le KLDTDU à améliorer plusieurs aspects de la gestion syndicale comme la transparence, la politique financière ou la démocratie interne. Nous les aidons à échanger leurs propres expériences afin de se renforcer mutuellement », explique Stefan De Groote, gestionnaire de ce projet au sein de l’IFSI. Le projet est soutenu par la FIOT (Fédération internationale des ouvriers du transport), qui en assure la comptabilité et s’implique dans la coordination entre les deux syndicats à travers son bureau régional africain, situé au Kenya.

La nature du travail effectué par les affiliés des deux syndicats partenaires de l’UBT et de l’IFSI permet d’envisager des solidarités très concrètes : les marchandises déchargées par les dockers sont livrées par les routiers dans toute l’Afrique de l’Est. « Si les dockers ont un problème avec leur employeur, les camionneurs peuvent entre en grève jusqu’à ce qu’il soit réglé, note Stefan De Groote. Des entreprises peuvent également être visées, par exemple si elles ne respectent pas le droit social. Les containers de cette entreprise seront par exemple déchargés très lentement par les dockers »

La connaissance des droits sauve des vies

L’une des ambitions du projet est d’aider les travailleurs à mieux connaître et défendre leurs droits. Stefan De Groote : « Nous utilisons la technique des cercles d’étude développé par le PANAF. 230 dockers et routiers ont suivi le cycle complet de formations par cercles d’études en 2015. Les formateurs abordent les questions de droit du travail, de sécurité sur le lieu de travail, les structures syndicales, tout en se concentrant sur les problèmes pratiques dans les entreprises et la manière de les résoudre. Des travailleurs nous ont expliqué que la connaissance des droits sauve des vies. Au cours d’un cercle d’études, un membre du syndicat des chauffeurs a compris qu’il transportait des produits dangereux dans son camion. Il a aussi appris à lire les symboles chimiques… et à exiger leur traduction en anglais lorsqu’ils sont écrits en chinois ! Les chauffeurs de son entreprise ont reçu des équipements de protection à l’issue du cercle d’étude : après avoir pris conscience des dangers qu’ils encouraient mais aussi de leurs droits, ils se sentaient sûrs d’eux et ont osé s’adresser à la direction pour faire valoir des revendications ».  Ce changement d’attitude chez les travailleurs qui ont suivi les cercles d’étude a un effet d’entraînement chez les autres : de plus en plus de travailleurs demandent à participer aux cercles d’étude, ce qui suscite des listes d’attente.

Atteindre un quota de femmes ou risquer la dissolution

Le projet soutenu par la FGTB Transport et l’IFSI vise aussi à augmenter l’implication des femmes dans les syndicats DWU et KLDTDU. « Quelques femmes travaillent dans le port, même dans des fonctions que l’on imagine davantage réservées aux hommes, comme la conduite de grues. Leur présence n’est pas reflétée dans les structures syndicales. On trouve encore moins de femmes dans le secteur représenté par le syndicat des chauffeurs, elles sont dans les bureaux des entreprises de logistique. Nous voulons cependant intégrer ces travailleuses dans les structures syndicales : d’une part, leur approche différente de celle des hommes amène un enrichissement au sein des syndicats, d’autre part, la constitution kenyane stipule un minimum de 30% de femmes dans tous les organes élus. Le non-respect de ce quota peut entraîner la dissolution de l’organisation », souligne Stefan De Groote. Le projet aide les travailleuses à avoir plus de possibilités de s’épanouir au sein des syndicats, par exemple en exigeant un quota de femmes dans les cercles d’étude et dans la sélection des animateurs de ces cercles.

Une amélioration du fonctionnement interne des partenaires kenyans de la FGTB Transport a de grandes chances d’aboutir à une augmentation du nombre d’adhérents.  « Le potentiel de croissance des membres est important pour KLDTDU, qui ne compte que 1.200 affiliés sur les 120.000 chauffeurs et assistants chauffeurs du Kenya, explique le gestionnaire de projet. Des militants syndicaux sont déjà en charge du recrutement, que soit dans leurs entreprises ou dans d’autres entreprises, ils essaient alors de contacter les chauffeurs en dehors des heures de travail, lorsqu’ils sortent des entrepôts. Nous avons aussi pour but de collaborer avec les délégués syndicaux de KEWU (Kenyan Engineering Workers’ Union), un syndicat présent dans de nombreuses usines, pour qu’ils sensibilisent les chauffeurs routiers qui livrent des marchandises dans leurs entrepôts à l’importance de s’affilier au KLDTDU ».

Sensibiliser au VIH sur les parkings des chauffeurs routiers

Une partie du projet se concentre sur la prévention du VIH. « Il serait presque impossible d’exclure la question du VIH quand on s’intéresse à l’amélioration des conditions de travail au Kenya, surtout dans le secteur du transport. La prévalence du VIH dans la population du Kenya est de 6%, mais elle atteint 20% parmi les camionneurs… et 21% parmi les travailleuses du sexe. Un lien clair existe entre ces deux catégories professionnelles », note Stefan De Groote. Le projet mené par KLDTDU sensibilise les chauffeurs à la nécessité de se protéger et de passer régulièrement le test de dépistage. Le syndicat mène cette sensibilisation dans les entreprises et sur les parkings où s’arrêtent les chauffeurs routiers. Les militants syndicaux sont alors accompagnés de personnel médical habilité à effectuer un test sur place. Si un chauffeur est séropositif, il peut être transféré vers des structures de soin, au sein du KLDTDU ou dans un centre plus spécialisé.

L’un des effets indirects de ces sensibilisations sur le VIH est le recrutement de nouveaux membres par le KLDTDU, car ces rencontres sur les parkings sont aussi l’occasion d’expliquer ce que sont les syndicats. A terme, ces sensibilisations devraient aussi avoir lieu aux postes frontières, des endroits où les chauffeurs passent beaucoup de temps lors du remplissage des formalités administratives.

Collaboration « gagnant-gagnant » entre spécialistes de la santé et syndicats

Le KLDTDU développe une collaboration avec l’International Centre for Reproductive Health (ICRH), basé à Mombasa. Ce centre est spécialisé en médecine génésique et dans l’aide aux travailleuses du sexe. « Les responsables de l’ICRH sont conscients que les parkings où s’arrêtent les camionneurs sont des endroits clés dans la transmission du VIH. L’un des objectifs en 2016 est que des représentants de KLDTDU et de ce centre soient présents ensemble lors des actions de sensibilisation sur les parkings, pour traiter à la fois de l’aspect « demande » (les chauffeurs) et de l’« offre » (les travailleuses du sexe), explique Stefan De Groote. En arrivant sur les parkings en compagnie des militants syndicaux, les représentants de l’ICRH sont davantage en sécurité, car les chauffeurs ne perçoivent pas toujours positivement leur présence. La présence de représentants syndicaux réduit les risques d’agression. Côté chauffeurs, des contacts avec une organisation qui aide les travailleuses du sexe suscitera peut-être une prise de conscience qu’il s’agit aussi de travailleuses et d’êtres humains. L’association des travailleuses du sexe, structurée via l’ICRH, nous a par ailleurs demandé des conseils sur la manière de se transformer en un véritable syndicat ».

Les liens entre la FGTB Transport et ses partenaires kenyans débouchent parfois sur des actions de solidarité qui dépassent le cadre du projet. C’est le cas en ce qui concerne Agility Logistics, l’une des plus grandes entreprises de logistique du monde. Début 2015, lorsqu’un groupe de routiers kenyans employés par Agility a commencé à manifester pacifiquement contre les heures de travail excessives et le refus de reconnaître son syndicat, la police a répondu par la violence. La FIOT a lancé une campagne internationale pour faire pression sur le siège mondial d’Agility, situé au Koweït. La FGTB transport a relayé cette action auprès de la filiale belge d’Agility, et en écrivant à ses clients pour dénoncer ses pratiques au Kenya. « Les délégués se sont notamment déplacés chez Essers, dans le Limbourg, une entreprise de transport où le dialogue social est bon mais qui sous-traite beaucoup de travail d’Agility. Nous relayons toutes ces actions auprès des travailleurs d’Agility au Kenya pour qu’ils se sentent encouragés par ce soutien international ».

(1) Kenyan Long Distance Truck Drivers Union

(2) Kenyan Dock Workers’ Union