L’IFSI et HORVAL-FGTB soutiennent deux syndicats en Côte d’Ivoire et au Burkina Faso afin d’améliorer la prévention du travail des enfants dans les plantations de cacao. Plusieurs réseaux de syndicats et d’ONG luttent aussi dans les pays du Nord pour contraindre les grandes marques de chocolat à améliorer leurs pratiques.  

Selon un rapport récent de l’Université américaine de Tulane, plus d’1,2 millions d’enfants travailleurs sont employés dans les plantations de cacao de Côte d’Ivoire, le leader mondial dans ce secteur. Ce nombre a augmenté de 49% par rapport à 2008/2009. Les réalités de terrain sont complexes, allant d’une contribution occasionnelle dans le cadre familial à des cas de travail forcé. Une partie des enfants exploités est victime de trafic depuis les pays voisins, principalement du Burkina Faso.

C’est dans ce contexte qu’un projet de l’IFSI et HORVAL (centrale de l’alimentation de la FGTB) aide deux syndicats ivoirien et burkinabé à renforcer leurs capacités afin qu’ils puissent améliorer la prévention du travail des enfants dans le secteur du cacao.  « En Côte d’Ivoire, notre partenaire est le syndicat de l’agro-alimentaire SYNA-CNRA, explique Leticia Beresi, gestionnaire de ce projet au sein de l’IFSI. Notre objectif est de l’aider à mieux sensibiliser, former et syndiquer les producteurs de cacao. S’ils s’organisent dans des syndicats plus forts, ces petits producteurs pourront mieux défendre leurs intérêts. Et si ceux-ci sont justement payés et travaillent dans des conditions décentes, les enfants pourront alors retrouver leur place à l’école et laisser les champs aux travailleurs adultes.

Le SYNA-CNRA mène également des activités de sensibilisation auprès des producteurs de cacao et des chefs de village. Celles-ci portent sur l’importance de maintenir l’enfant à l’école même pendant les périodes de récolte (en n’excluant pas que les enfants aident leurs parents pour des travaux légers en dehors des heures scolaires), sur les lois qui punissent « l’achat » d’enfants aux trafiquants qui les proposent dans les plantations. Le syndicat mène aussi un plaidoyer auprès du gouvernement ivoirien pour réprimer davantage, l’exploitation et le trafic d’enfants. Les premières condamnations de trafiquants d’enfants ont été prononcées par la justice ivoirienne, en partie grâce à ce plaidoyer.

Sensibilisation des chauffeurs routiers burkinabés

Au Burkina Faso, l’un des principaux pays d’origine d’enfants emmenés vers les plantations de cacao de Côte d’Ivoire, le projet d’IFSI et HORVAL collabore avec l’UCRB (Union des chauffeurs routiers du Burkina Faso) pour mener des actions de prévention. L’UCRB est un syndicat fort dans la région, il possède des antennes jusqu’en Côte d’Ivoire, au Ghana et au Bénin pour venir en aide à ses membres. « Dans le cadre de ce projet, l’UCRB a mené une campagne de sensibilisation des chauffeurs sur le trafic d’enfants et le rôle qu’ils peuvent jouer dans sa prévention, explique Silvie Mariën, responsable de ce projet à la FGTB-HORVAL. Du matériel promotionnel (porte-clés, autocollants apposés sur les camions) a été distribué. Lorsque des chauffeurs repèrent des enfants qu’ils suspectent être victimes de trafics il leur est demandé de prendre contact avec leurs dirigeants syndicaux, qui font intervenir les services de l’Etat pour une prise en charge de ces enfants. Ce fut le cas par exemple fin 2013, lorsqu’un chauffeur sensibilisé par l’UCRB a aperçu 12 enfants dans un camion. Il a contacté son secrétaire général, les enfants ont pu être secourus à temps ».

L’UCRB n’a ni la vocation ni les capacités de prendre en charge les enfants victimes de trafic, mais par ses sensibilisations et son plaidoyer, elle tente de réveiller les autorités de l’Etat pour qu’elles fassent leur travail. Par ailleurs, le syndicat burkinabé rencontre chaque année le SYNA-CNRA pour coordonner les actions dans la lutte contre le travail des enfants. Les deux partenaires d’IFSI et d’HORVAL collaborent pour déterminer les endroits où aboutissent les enfants burkinabés tombés aux mains de trafiquants. Un état des lieux et une cartographie des zones à risques ont été réalisés dans les deux pays.

Un réseau Nord-Sud se développe autour du cacao

Le projet vise aussi à construire un réseau Nord-Sud qui lutte contre le travail des enfants par une sensibilisation aux deux bouts de la chaîne d’approvisionnement. HORVAL fait partie de VOICE (Voice of Organizations in Cocoa in Europe), un réseau européen d’ONG et de syndicats qui militent pour un changement durable dans le secteur du cacao. VOICE publie régulièrement son « baromètre » détaillant une série d’indicateurs sur la durabilité dans ce secteur. HORVAL est également actif au sein du réseau cocoanet.eu de l’EFFAT, la Fédération européenne des syndicats de l’alimentation, de l’agriculture et du tourisme. Il permet notamment aux syndicalistes issus des grands pays européens producteurs de chocolat d’échanger les bonnes pratiques dans l’économie du cacao. Silvie Mariën : « Nous nous sommes réunis dans plusieurs conférences européennes, l’une d’elles a jeté les bases d’un guide sur l’intervention des syndicats dans la lutte contre les enfants dans la filière du cacao. Il explique aux délégués comment poser les bonnes questions au sein des conseils d’entreprise, les interrogations quant aux codes de conduite, aux sous-traitants, etc. »

Ce guide a été utilisé par les délégués d’HORVAL dans un cas concret lié au chocolatier Barry Callebaut.  « En 2014, Barry Callebaut avait suscité la couverture médiatique avec l’école qu’il avait créée pour 240 enfants à Bodjonou, à 45 km d’Abidjan (Côte d’Ivoire), explique Silvie Mariën. J’ai contacté le secrétaire général du SYNA-CNRA pour lui demander de vérifier sur place la qualité de cette école. Il s’est avéré qu’il n’y a que trois classes pour 240 élèves, que les équipements étaient en mauvais état… J’ai transmis ces informations au secrétaire régional d’HORVAL à Gand, où se trouve une grande usine de Barry Callebaut, pour qu’il dénonce au sein du conseil d’administration de l’entreprise ce qui a été révélé dans la presse ».

Au Nord comme au Sud, les syndicats partenaires de ce projet maintiennent la pression sur les entreprises pour interdire le travail des enfants et promouvoir l’achat du cacao à un prix décent. « Les grandes marques de chocolat savent que les syndicats et les ONG les surveillent de très près sur des questions aussi sensibles que le travail des enfants, conclut Silvie Mariën. Ces multinationales se cachent derrière leurs projets « sociaux » comme la construction d’écoles, elles essaient de se donner une bonne image. Nous leur rappelons que le rôle d’une entreprise n’est pas de construire des écoles – nous plaidons pour un renforcement de l’intervention de l’Etat dans ce domaine – mais qu’elles doivent avant tout veiller à garantir un travail décent à leurs producteurs et fournisseurs tout au long de la chaîne d’approvisionnement ».