Avant l’été 2018, un avant-projet de loi relatif à la politique belge de développement a été proposé par le Ministre Alexandre De Croo.

Un avant-projet de loi lancé en fin de législature, sans réelle consultation du secteur
Justifié par la nécessité de s’adapter à un contexte international en changement, et annonçant une nouvelle réforme de grande ampleur, ce texte a été lancé de manière précipitée en fin de législature et sans réelle consultation des acteurs de la coopération belge.

Approuvé par le conseil des Ministres en novembre 2018, il a, malgré la situation actuelle d’affaires courantes, été mis à l’ordre du jour au Parlement dès le début du mois de janvier.

Une audition fructueuse au Parlement
Le 22 janvier, l’IFSI a été auditionné à ce sujet comme expert au Parlement. Cette audition nous a donné l’occasion de relayer nos préoccupations aux députés. Très critiques sur ce texte pour les orientations politiques qu’il sous-tend, nous avons, aux côtés d’autres organisations comme le CNCD, fait entendre notre point de vue et cela a porté ses fruits. Le 5 février, le Ministre a annoncé l’annulation de ce projet !

Pour le secteur de la coopération non gouvernementale, c’est bien entendu une victoire. Bien que le texte nous donnait plusieurs garanties quant à la continuité de nos actions dans le cadre actuel, il posait plusieurs questions de fond sur la vision qui s’en dégageait en termes développement.. Au fond, ce texte semblait davantage répondre à un souci de renforcer le paradigme néolibéral dans la politique d’aide au développement, que de celui de tirer des leçons des pratiques actuelles de coopération sur le terrain. Sans évaluation de l’existant, sans débat ni réelle consultation sur le sujet, ce projet de loi posait ainsi de nombreux problèmes. Ci-dessous, un rapide retour sur notre analyse.

Nos préoccupations sur le contenu
De manière générale, l’instrumentalisation de plus en plus poussée de la coopération internationale au service de la politique (anti-)migratoire, étrangère et commerciale belge était l’une des premières préoccupations du secteur. La vision qui se dégageait du texte était de plus en plus éloignée de la solidarité internationale et des besoins des pays partenaires. Ci-dessous, nous ciblons trois nouvelles dimensions introduites dans ce texte qui ont fait l’objet de nos préoccupations.

  • Risque d’une instrumentalisation de la politique de développement belge au service des politiques migratoires restrictives
    Un des exemples les plus problématiques du texte était l’instrumentalisation de la politique de développement au service des politiques migratoires restrictives. La lutte contre la migration était en effet présenté un objectif en soi, un critère de choix des pays, une conditionnalité de l’aide et un critère d’efficacité. Ces dispositions risquaient d’aller totalement à contre-courant des objectifs de développement durable et de la priorité donnée aux pays les moins avancés. Les pays de la majorité des migrants venant en Belgique ne sont, en effet, ni les PMA, ni les pays partenaires de la Belgique (sauf le Maroc) ni encore les pays les plus pauvres. Il y avait donc un risque bien réel de détourner l’Aide Publique au Développement des pays qui en ont le plus besoin. A l’instar du message réitéré par les coupoles, il est contre-productif d’évaluer l’efficacité de la politique belge de développement à l’aune de réduction des flux migratoires à court terme dans les pays partenaires. Il est par contre essentiel de stabiliser les flux migratoires à moyen et long terme pour permettre à chacun de vivre dignement, et ceci nécessite que tous les moyens de la coopération au développement soient alloués à l’agenda 2030.
  • Risque d’un détournement des actions du secteur privé de l’agenda 2030
    Une autre dimension préoccupante de ce projet de loi était la rentrée en force, et très peu conditionnée, du secteur privé dans la coopération. Ce débat n’est pas nouveau dans le champ international. Toutefois, la spécificité de ce projet était l’octroi de fonds d’aide publique au développement aux entreprises dans le cadre des objectifs de développement durable, et ceci, en l’absence d’un cadre clair, explicite et contraignant. Lors de l’audition, nous avons rappelé l’importance de l’agenda du travail décent pour permettre une contribution réelle et efficace du secteur privé aux ODD. En effet, sans cadre explicite, le risque était triple : d’une part, que les fonds privés ne se dirigent pas vers les pays qui en ont le plus besoin, d’autre part, que les entreprises locales n’en soient pas les premières bénéficiaires, et enfin, que ces flux ne se traduisent pas en redistribution des richesses et en création d’emplois de qualité. Nous avons lors de l’audition, ainsi, rappelé l’importance d’établir des normes contraignantes en matière de respect des droits humains et des normes sociales, environnementales et fiscales. A fortiori cela implique d’établir des critères d’exclusion clairs également en cas de violations de ces normes, d’assurer le respect de la concertation sociale et des droits et libertés syndicales, et enfin, d’être cohérente avec la recommandation R204 de l’OIT relative à la transition de l’économie informelle vers l’économie formelle. En d’autres mots, secteur privé et agenda mondial du travail décent doivent avancer main dans la main si nous voulons assurer une contribution positive du secteur privé aux objectifs de développement durable.
  • Risque d’une cohésion rapprochée des moyens au service d’un objectif … sans nom
    Enfin, une troisième dimension préoccupante était « l’approche globale », notion désignant la « méthode visant à maximaliser l’efficacité de toutes les interventions belges dans un pays déterminé ou concernant un thème déterminé ». Bien qu’une plus grande coordination interdépartementale soit en soi en objectif qui a du sens, elle doit se faire en vertu d’un objectif, objectif qui soit par ailleurs explicite. Or, plusieurs balises étaient manquantes quant à la contribution de cette approche globale aux objectifs de développement durable. Il y avait, de facto, un risque réel d’un alignement de la politique de coopération et de développement sur les intérêts propres de la Belgique.

Au-delà du contenu… un problème de forme
Le secteur de la coopération non gouvernementale a connu son lot de réformes, affectant de près ou de loin, son action et de facto, le travail de ses partenaires dans les pays en développement. Sous cette législature, le secteur a à nouveau vécu 4 années intenses de réforme pour atterrir sur le cadre actuellement en vigueur depuis 2017. Au-delà du contenu, cette nouvelle réforme fragilisait à nouveau les principes essentiels de continuité et de prévisibilité de l’aide, garants essentiels de son efficacité. C’est pourquoi nous resterons vigilants sous la prochaine législature à ce que ces principes restent d’actualité.