18 Nov 2012 / général
Pérou : soutenir les syndicats malgré la répression
L’IFSI coordonne deux projets de solidarité au Pérou, un pays dangereux pour les syndicalistes. De la défense des droits syndicaux à la promotion de la santé et sécurité, les résultats sont encourageants.
Les libertés syndicales sont constamment bafouées au Pérou. Les licenciements pour cause d’appartenance à un syndicat se comptent par centaines chaque année. 15 dirigeants de la FTCCP (Fédération des travailleurs de la construction civile du Pérou) ont été assassinés depuis 2011. Ces meurtres sont souvent commis par des bandes mafieuses qui se font passer pour des syndicats afin d’extorquer une partie du salaire des ouvriers et d’importantes sommes d’argent de la part des entrepreneurs. Elles détruisent les véritables organisations syndicales et prennent le contrôle des chantiers.
C’est dans ce contexte que l’IFSI et la FGTB de Bruxelles développent un projet avec la CGTP (Confédération Générale des Travailleurs du Pérou) pour l’aider à développer son département en charge de la négociation collective, de la défense des libertés syndicales, des inspections, des normes de travail et de l’assistance juridique. La CGTP forme des dirigeants syndicaux régionaux afin qu’ils puissent mettre sur pied un service juridique de base, ce qui évite de devoir supporter des frais d’avocats. « Notre soutien a aidé la CGTP à élaborer des manuels à destination des services d’aide juridique, à équiper les bureaux et à recruter des étudiants en droit qui peuvent fournir les premiers conseils, explique Yolanda Lamas, gestionnaire de ce projet au sein de l’IFSI. C’est particulièrement important dans la défense des travailleurs licenciés pour raisons syndicales, mais aussi parce que la loi de criminalisation de la contestation sociale conduit beaucoup de syndicalistes derrière les barreaux ». A travers ce partenariat, la FGTB aide aussi les syndicalistes péruviens à dénoncer ces violations sur le plan international. Elle se joint aux syndicats internationaux pour déposer des plaintes contre le Pérou au niveau de l’OIT, pour mener des actions de protestation devant les ambassades du Pérou.
Victoire au sein de la multinationale Prosegur
Au Pérou, la coordinatrice de ce projet est l’avocate de la CGTP, Gisella Figueroa. « Elle soutenait depuis longtemps les employés de Prosegur, une entreprise multinationale espagnole de sécurité privée connue pour les violations des droits des travailleurs qu’elle commet en Amérique latine, souligne Yolanda Lamas. La filiale péruvienne de Prosegur refusait de reconnaître le syndicat formé en son sein. Grâce au soutien du projet FGTB de Bruxelles-IFSI et à une campagne internationale d’UNI Global Union, les travailleurs de Prosegur ont pu négocier avec leur employeur et le 24 juillet 2015, le syndicat de Prosegur a signé une convention collective de travail qui reconnait une bonne partie de ses revendications ! »
Un autre projet soutenu par l’IFSI et la Centrale Générale FGTB (CG) au Pérou vise à former de nouveaux cadres syndicaux dans une dizaine de régions, afin d’assurer à terme une relève dans la gestion de la FTCCP. Ce projet a également pour but d’encourager la participation des travailleuses dans les instances syndicales via un quota de femmes à respecter lors de chaque formation. Ce programme est la continuité d’un partenariat de longue date entre l’IFSI et la FTCCP, avec l’appui de la Centrale Générale. De 2007 à 2011, il avait déjà permis la formation de spécialistes en santé et sécurité dans les bureaux régionaux de la FTCCP.
« La Centrale Général FGTB a partagé avec la FTCCP les brochures du CNAC (Conseil national d’Action sécurité et hygiène dans la Construction), afin que nos partenaires aient une base pour développer leur propre matériel, explique la coordinatrice de l’IFSI. Des délégués de la FTCCP sont aussi venus en Belgique, la CG a facilité leurs rencontres avec le CNAC où ils ont reçu de petites séances d’information. Les syndicats ont réalisé un film montrant vraiment ce qui se passe en cas d’accident de travail : les lésions chez le travailleur, les conséquences pour sa famille… Un jeune travailleur amputé du bras suite à un accident de travail a été formé dans le domaine de la santé et sécurité par nos partenaires syndicaux, il est maintenant l’un de leurs porte-drapeaux dans les sensibilisations ». Les campagnes menées par la FTCCP suite à ce partenariat ont abouti à des résultats concrets. Le syndicat note par exemple que de plus en plus d’ouvriers portent leurs casques sur les chantiers.
Un travail de fourmi récompensé, puis trahi par le gouvernement
Parallèlement à ce travail de terrain, les syndicats ont mené une longue lutte pour que le Pérou se dote d’une législation plus stricte dans le domaine de la santé et de la sécurité. Yolanda Lamas : « Nos partenaires CGTP et FTTCP ont réalisé un travail de fourmi dans le plaidoyer en faveur de l’adoption de cette loi. Ils ont rencontré chaque parlementaire, les associations d’employeurs, les journalistes pour leur expliquer pourquoi cette loi est importante. Son adoption par le congrès en 2011 était une énorme victoire pour les syndicats, mais depuis lors, le gouvernement a effectué un grand virage à droite et l’application de la loi pose problème. Un employeur qui commet une infraction dans ce domaine ne risque plus qu’une petite amende. De nombreux entrepreneurs préfèrent ne pas investir dans la sécurité et payer ces petites amendes »
Cette évolution est symptomatique de la politique antisyndicale du gouvernement péruvien, celui du président Ollanta Humala, élu en 2011 avec un important soutien populaire. Humala avait reçu l’appui de la CGTP dans sa campagne. Il a beaucoup déçu depuis lors, notamment par la prorogation d’une législation qui donne la possibilité aux patrons de certains secteurs économiques de donner à leurs travailleurs un autre « régime de travail », de n’octroyer que la moitié des vacances et de ne payer que la moitié de la sécurité sociale. Cette législation prive une bonne partie des travailleurs péruviens du droit de se syndiquer, dont plus de 800.000 travailleurs employés dans l’agro-industrie.