17 Mar 2022 / Publications
La lutte des jeunes dans les call-centers en Colombie est un combat international
Benjamin Vandevandel, détaché pédagogique auprès des Jeunes FGTB, a rencontré Danna Vargas, jeune travailleuse et syndicaliste colombienne spécialisée dans le droit du travail. Voici ses impressions et son entretien.
Par Benjamin Vandevandel (Jeunes FGTB) et Yolanda Lamas (IFSI)
Le syndicalisme est par essence internationaliste. Quand on défend les intérêts d’un∙e travailleur∙se, on défend les intérêts de tou∙tes les travailleur∙ses. La Fédération générale du travail de Belgique (FGTB), à travers son Institut de Coopération syndicale internationale (IFSI), défend concrètement les intérêts des travailleur∙ses d’Afrique, d’Amérique latine et d’Asie. L’IFSI vise le renforcement de capacités des organisations syndicales partenaires de la FGTB en planifiant avec celles-ci des projets de cinq ans cofinancés par la Coopération belge.
Ainsi, l’IFSI développe un projet « jeunes » en Colombie avec la Centrale unitaire des travailleur∙ses (CUT). Les jeunes sont davantage discriminé∙es que leurs aîné∙es : contrats-poubelle renouvelés s’iels se tiennent loin des syndicats sans réclamer leurs droits sociaux. Le projet veut renforcer la défense des droits des jeunes et leur représentation syndicale au sein des syndicats. Le taux de syndicalisation de la jeunesse latino-américaine est très bas, de 1% contre 4% pour les travailleur∙ses. Désintérêt ou manque de confiance ? La CUT veut travailler le renforcement de son département « jeunes » et sensibiliser les jeunes à s’affilier pour mieux les défendre. Le nouveau projet 2022-2026 associe les Jeunes FGTB parce que certains problèmes rencontrés sont les mêmes et qu’entre jeunes, iels peuvent trouver ensemble des pistes de solutions
« Passer quelques heures à discuter avec une camarade colombienne rappelle combien les problématiques touchant l’accès aux mécanismes de solidarité et au respect du droit du travail sont universelles. Danna a pu rendre compte de la situation vécue par les jeunes travailleur·ses dans les entreprises télécom et d’économie de plateforme, » explique Benjamin.
Le récit de Danna est poignant : « J’ai été contactée par des travailleuses de la multinationale française, leader mondial des centres d’appels, Teleperformance, dont un des sièges est basé à Bogota. Dans cette entreprise, la moyenne d’âge se situe entre 18 et 22 ans et le secteur des call-centers est un vivier de violations du droit du travail. Iels ont à peine 15 minutes de pause de midi. Nous avons relevé de nombreux cas de harcèlement au travail et sexuel, de promesses non tenues de prime en cas de bonnes ventes, etc. La pandémie a encore aggravé la situation : les employé·es devaient se présenter sans masque, sans accès à du gel désinfectant. Celles et ceux qui travaillent à domicile utilisent leur propre matériel et la société n’offre que 50 000 pesos colombiens pour des abonnements internet qui en coûtent 100 000. Or le salaire moyen dans l’entreprise est de 1 200 000 pesos (274 euros), juste 200 000 pesos en dessus du salaire minimum qui est situé à un million de pesos (228 euros). C’est un coût faramineux. De pluse, une caméra est installée dans les domiciles des travailleur·ses afin de les surveiller ; ce qui est une grave intrusion dans leur vie privée. »
Danna témoigne donc d’une situation extrêmement compliquée, aggravée par la pandémie COVID 19, dans un pays qui, comme l’indique l’Indice des droits dans le monde de la CSI, figure déjà dans le top 10 des pays où la répression d’État sur le monde du travail, sur les défenseurs et défenseuses des droits syndicaux, environnementaux ou indigènes, est l’une des plus fortes au monde.
La Colombie est connue pour son taux élevé de travail informel (officiellement 47,7% en août 2021, mais la CUT annonce un taux de plus de 60%), et pour le nombre élevé de personnes défendant les droits humains et l’environnement assassinées : 542 dont 22 syndicalistes. Travailler comme militant·e est une occupation à haut risque et rien dans les projets gouvernementaux actuels ne laisse présager une amélioration. Le Congrès débat actuellement de lois pour promouvoir l’emploi des jeunes de moins de 28 ans. Qu’il s’agisse de la Loi du premier emploi ou de la prolongation de leur période de stage, pour les syndicats, il s’agit davantage d’aider le patronat à se relever de la période « corona » en lui proposant de diminuer leurs cotisations sociales et les salaires aux jeunes. En fin de compte, les jeunes gagnent moins et ont une couverture sociale diminuée voire inexistante.
Un appel à la jeunesse syndicale est lancé pour ne pas entériner une Loi discriminatoire !
Colombie… Belgique… l’internationalisation des luttes face aux dérives autoritaires est une réalité. Les témoignages des camarades outre Atlantique montrent combien la vigilance s’impose aussi en Europe. Bien que dite démocratique, la condamnation récente de 17 syndicalistes belges pour « entrave méchante à la circulation » est une démonstration parmi d’autres qui illustre combien le monde patronal et la droite politique attaqueront encore et toujours les défenseurs et défenseuses des intérêts du monde du travail. On assassine en Colombie, on condamne en Europe : ce sont deux des facettes de la violence internationale exercée par le patronat et leurs allié·es de droite et d’extrême droite.
En discutant avec Danna, nous nous rendons compte combien il est important que la lutte syndicale, environnementale, indigène, … ait une portée internationale. Là où des droits se perdent ou ne sont pas respectés, c’est l’ensemble du monde du travail qui en subit les conséquences.
Le monde est complexe, multiculturel et un modèle de société n’est pas transposable à un autre sans nuance, mais aucun·e travailleur·euse au monde ne refusera un accès à l’éducation, aux soins de santé, au respect du droit du travail et au respect de son environnement. Le combat de Danna en Colombie est le même que celui de tout·es les syndicalistes du monde : « Il faut former les jeunes à s’engager pour un monde du travail décent tout au long de la vie. Ce qui se passe en Colombie concerne aussi l’Europe, ce qui se décide en Europe influe les jeunes en Colombie : l’internationalisation des luttes est une nécessité car même les gouvernements les plus autoritaires détestent se voir pointer du doigt ! »
Lisez l’article en anglais ici : https://www.ituc-csi.org/The-fight-of-young-call-centre-workers-in-Colombia-is-an-international-struggle