24 Mai 2017 / général
Rwanda : « Les travailleurs sont les premiers responsables de leur sécurité »
Au Rwanda, un partenariat entre IFSI, la FGTB Fédérale en tant que partenaire et la CESTRAR (Centrale des syndicats des travailleurs du Rwanda) améliore les conditions de santé et de sécurité au travail dans les secteurs du thé et de la construction.
Au Rwanda, un partenariat entre IFSI, la FGTB Fédérale en tant que partenaire et la CESTRAR (Centrale des syndicats des travailleurs du Rwanda) améliore les conditions de santé et de sécurité au travail dans les secteurs du thé et de la construction. Il permet aussi à la CESTRAR d’embellir l’image des syndicats dans la société. Rencontre avec Africain Biraboneye, secrétaire général adjoint de la CESTRAR et responsable de ce partenariat.
Quelles stratégies la CESTRAR met-elle en œuvre pour améliorer les conditions de santé et de sécurité ?
Les projets soutenus par l’IFSI se concentrent dans les secteurs du thé et de la construction, qui emploient une large main-d’œuvre au Rwanda. Nous commençons par la formation des représentants syndicaux de ces secteurs, puis nous entamons les campagnes de sensibilisation des travailleurs. Ces campagnes passent par la production d’affiches que nous plaçons sur les lieux d e travail et dans les endroits publics comme les églises ou les marchés. Nous produisons aussi des films documentaires qui sont diffusés à la télévision.
Dans les plantations de thé, nous réunissons des groupes de 80 à 120 personnes pour les former aux questions de santé et sécurité. Nous utilisons notamment des brochures qui illustrent différentes situations d’accident, les risques de blessures encourus selon que l’accident se produit avec ou sans matériel de protection adéquat. Nos activités visent d’abord à faire évoluer la mentalité des travailleurs, à leur faire comprendre qu’ils sont les premiers responsables de leur sécurité.
Nous passons ensuite au plaidoyer vis-à-vis des employeurs, afin qu’ils fournissent les équipements de protection adéquats. Nous menons également un plaidoyer auprès des autorités législatives.
Quelles améliorations constatez-vous ?
Pour la première fois dans l’histoire du Rwanda, nous avons obtenu une loi sur la santé et sécurité au travail. La CESTRAR était partie prenante de son élaboration car nous étions les pionniers dans la sensibilisation à ces questions.
Au sein des plantations, le nombre d’accidents liés au travail diminue sensiblement parce que les travailleurs sont mieux informés des dangers et que davantage de matériel de protection est mis à leur disposition. La même tendance se dessine dans la construction, grâce notamment à des échafaudages plus solides.
Le soutien d’IFSI et de la FGTB fédérale en tant que partenaire nous a également permis de développer une première crèche dans les plantations de thé, à Mulindi. C’est important car la moitié des employés des plantations de thé sont des femmes. Celles qui ont des enfants en bas âge doivent les amener dans les plantations durant leur journée de travail puisqu’il n’existe pas de crèches dans les collines. Comme elles portent déjà un panier sur le dos pour conserver le thé récolté, elles ne peuvent porter leurs enfants pendant le travail, ils sont donc laissés sous un arbre pendant que leurs mères cueillent. Ces femmes ne peuvent travailler l’esprit en paix, elles doivent constamment surveiller leurs enfants pour éviter les accidents (morsure de serpent, chute dans de l’eau, etc.). Dans ces conditions, une travailleuse récolte très peu de thé, bien moins que son mari. Elle demeure dans la pauvreté extrême et n’a guère d’influence dans sa famille par rapport aux hommes qui gagnent plus.
La CESTRAR n’étant pas une ONG, nous ne souhaitons pas posséder ou gérer nos propres crèches. Notre objectif est que les travailleuses et l’employeur soient responsables des crèches au sein d’une plantation. C’est le cas à Mulindi, où la direction paie le salaire de la personne qui s’occupe des enfants tandis que les travailleuses amènent la nourriture. La CESTRAR s’était chargée de la rénovation et de l’équipement du local qui est devenu une crèche pouvant accueillir 35 enfants.
Cette première crèche sert-elle de modèle à d’autres initiatives ?
Elle a suscité l’envie chez des travailleuses et responsables de plantations d’en créer ailleurs. Une deuxième crèche a déjà vu le jour sans notre intervention directe. Cette crèche est « mobile » : elle est tirée par un camion et peut suivre les travailleuses dans les différents endroits de la plantation, selon l’évolution de la cueillette. L’inconvénient de cette crèche est sa petitesse, elle ne peut accueillir que 8 enfants. En 2015, nous espérons superviser la création d’une troisième crèche dans les plantations de thé.
Ces crèches ont des conséquences directes dans les vies de famille des travailleurs. Le revenu des femmes augmente parce qu’elles peuvent travailler autant que les hommes, elles sont donc moins dépendantes de leurs maris. Le revenu moyen par famille augmente également. L’abandon scolaire peut diminuer : lorsqu’il n’y a pas de crèche, il arrive qu’une travailleuse demande à un de ses enfants plus âgés de l’accompagner pour surveiller le plus jeune, ce qui le condamne à ne plus aller à l’école.
Ces travailleurs bénéficient-ils d’une forme de sécurité sociale ?
Dans les plantations, nous menons des campagnes de sensibilisation des travailleurs à l’importance de s’affilier à la caisse d’assurance sociale. Il n’est pas facile de faire admettre aux travailleurs qu’ils doivent consacrer 3% de leur maigre salaire à la sécurité sociale (l’employeur contribue à hauteur de 5%). Nous sommes parvenus à affilier 75% des travailleurs des plantations à la sécurité sociale. C’est une grande victoire, aussi en termes de stabilité d’emploi car les travailleurs affiliés ont des contrats de travail, ils peuvent donc bénéficier d’avantages prévus par la loi (comme les congés de maternité), obtenir de petits crédits auprès de coopératives bancaires, etc.
Dans le secteur de la construction, le pourcentage de travailleurs affiliés à la sécurité sociale est beaucoup plus faible car les travailleurs sont journaliers et mobiles. Seule une minorité de travailleurs, ceux employés par de grands entrepreneurs, sont affiliés. Pour les autres, nous menons une campagne demandant à la Caisse de sécurité sociale de les accepter, quitte à ne pas couvrir tous les risques.
Les actions sur la santé et sécurité au travail modifient-elles la perception du syndicat dans la société rwandaise ?
Elles ont engendré une hausse importante de notre nombre d’adhérents. La population nous découvre sur les antennes des télévisions grâce à nos films et actions de sensibilisation. Elle voit aussi les brochures et affiches que nous distribuons un peu partout. Chaque 28 avril, Journée internationale pour la santé et sécurité au travail, nous menons des actions en impliquant le ministre du Travail et les employeurs. On leur fera par exemple porter des casques et des gants de protection pour susciter l’attention du public. Ce genre d’actions nous donne de la visibilité, elles améliorent l’image des syndicats. Beaucoup de gens étaient étonnés lorsque nous avons lancé ces premières actions de sensibilisation, puis ils se sont rendu compte qu’il était important d’avoir un syndicat fort pour réduire le nombre de maladies et d’accidents liés au travail.