On le sait le défi est immense partout dans le monde. Ce n’est pas demain que les nombreuses violences à l’égard des femmes prendront fin. Du côté du mouvement syndical africain, on a décidé de prendre ses responsabilités. Après avoir fortement bataillé pour la ratification de la C190 de l’OIT adopté lors du centenaire, la régionale africaine de la confédération syndicale internationale (CSI-Afrique) se met en ordre de bataille pour que cette ratification devienne réalité dans les 51 pays africains dans lesquels sont répartis ses 17 millions d’affilié·e·s.

Et le défi est de taille ! Nombreux sont les obstacles sur la route de celles et ceux qui militent sur le continent pour une véritable égalité entre hommes et femmes et surtout pour mettre fin aux violences basées sur le genre. En Afrique, comme partout ailleurs, les violences fondées sur le genre prennent de nombreuses formes, notamment la violence domestique, le viol, les abus sexuels sur les enfants, l’enlèvement et le mariage forcé de jeunes filles, la traite des femmes et des jeunes filles, le harcèlement sexuel au travail, à l’école et ailleurs. Certaines femmes se voient également offrir des emplois ou des promotions en échange de relations sexuelles.

Selon le syndicat sud-africain COSATU « La violence sexuelle se produit trop souvent sur le lieu de travail, avec des cas de viol, de harcèlement sexuel et de faveurs sexuelles en échange d’un emploi. Malheureusement, la majorité de ces cas ne sont pas dénoncés. Les rapports de force sur le lieu de travail sont tels que de nombreuses femmes souffrent en silence ou quittent leur emploi pour échapper au prédateur, qui est souvent dans une position plus puissante. Il est très difficile pour les jeunes femmes, qui prédominent également dans les emplois occasionnels et précaires, de s’exprimer. Certaines professions sont particulièrement vulnérables à la violence sur le lieu de travail, notamment les professions qui traitent avec le public et fournissent des services sociaux et commerciaux, tels que la santé, le transport et la vente au détail, ainsi que les travailleurs précaires, notamment les ouvriers agricoles, les employés de maison, les vendeurs de rue et les travailleurs du sexe. »

Mettre un terme à ces situations dramatiques est un objectif principal de la CSI-Afrique dans le cadre de sa mission de défense des intérêts des travailleur·euse·s s sur le continent. La réduction des inégalités et des discriminations apparaît comme une problématique transversale qui sous-tend l’ensemble des interventions de l’organisation. En effet, le mouvement syndical africain lutte activement pour l’inclusion sociale, la justice sociale et la juste place de la femme dans la société africaine. Pour atteindre ses objectifs, la CSI-Afrique soutient et accompagne les organisations affiliées tant sur le terrain politique que sur celui de l’éducation ouvrière

La lutte en faveur du droit des femmes passe par l’unité syndicale, l’exemple du Bénin

On le sait, un des enjeux majeurs du mouvement syndical en Afrique francophone concerne la prolifération syndicale. Que cela soit au niveau sectoriel ou interprofessionnel, la division et l’éparpillement de cette force collective affaiblissent leur position vis-à-vis des employeur·euse·s, et la possibilité pour les syndicats de représenter de façon légitime les intérêts des travailleur·euse·s, au niveau de l’entreprise, des secteurs ou dans le cadre du dialogue social et des institutions socio-économiques du pays. Consciente de cette faiblesse, la CSI-Afrique multiplie les initiatives pour inciter ses membres à travailler ensemble. C’est notamment le cas dans le domaine de l’éducation ouvrière dans lequel la CSI-Afrique est investie depuis plus de deux décennies au sein du programme de coopération syndicale panafricain PANAF[1] auquel participe également activement l’IFSI. Il en va de même pour la lutte contre les violences des femmes en milieu de travail.

 « Une des approches de la CSI-Afrique envers ses affiliés consiste à la mise en réseau. En Afrique de l’Ouest par exemple, nous travaillons à présent avec un vaste réseau constitués de tous les comités de femmes des organisations affiliées à la CSI-Afrique. Dès lors, nous ne soutenons les activités des membres qu’à la condition que ces actions se déroulent dans ce cadre d’unité d’action et nous attendons la même chose de nos partenaires qui nous soutiennent. Dans chaque pays de la région nous avons mis en place des points focaux et des approches thématiques qui abordent la violence basée sur le genre sous 3 angles différents et complémentaires. De nos jours, on trouve dans la majorité des pays un réseau violence, un réseau égalité et un réseau travail domestique. C’est notamment le cas au Bénin où ces 3 réseaux constituent les points d’entrée pour l’action de la CSI-Afrique et des partenaires bilatéraux comme IFSI ». (Ghislaine Saizonou –Broohm, Coordinatrice du département de l’Egalité et de la protection sociale de la CSI-Afrique)

17.000 cas de violence – la face visible de l’iceberg

La problématique des violences à l’égard des femmes n’est sans doute pas plus aigüe au Bénin qu’ailleurs. En revanche, le pays dispose d’outils statistiques encore trop rares sur le continent qui permettent de se faire une idée plus objective de la situation. On peut ainsi se rendre compte de l’ampleur de la tâche puisqu’on note pour 2018 le rapportage de près de 18.000 cas de violence dont 11.243 à l’égard des femmes et 2.418 filles, 712 garçons et 3.459 hommes. C’est ce qui apparaît dans le rapport 2018 sur la fréquentation des services d’écoute et d’appui conseil aux victimes de violences basées sur le genre. Au-delà des chiffres impressionnants, on s’aperçoit malheureusement que la tendance est à la hausse puisqu’on ne comptait « que » 3.348 cas de violence à l’égard des femmes en 2011. Vu les énormes obstacles que constituent la culture et la religion, on se doute que le problème est autrement plus important dans la réalité. En effet,

« La culture est un poids qui nous bloquent pour lutter efficacement contre les violences de genre, car la culture oblige certaine femme violées à ne pas se prononcer car dans les familles, c’est une honte absolue. Pour nous, c’est une ce sujet est d’une grande importance car il représente un drame, un fléau silencieux qui fait des ravages et place les victimes dans des situations de handicap, juste parce que les victimes sont non informées ou mal informées, malgré l’arsenal juridique qui existe dans notre pays  » (Basilia Koukoui, présidente du REFES-B)

Évidemment, la pandémie qui n’a pas épargné le continent africain est venue ajouter une difficulté supplémentaire.

« Le mouvement syndical africain est préoccupé par l’augmentation de la violence fondée sur le genre, à laquelle les femmes ont été exposées à la suite de l’épidémie de COVID-19 et des mesures de confinement imposées. Il ressort d’une étude récente de l’ONU-Femmes que les cas de violence contre la femme, en particulier la violence domestique, ont augmenté dans plusieurs pays, étant donné que les soucis de sécurité, de santé et d’argent causent des tensions et du stress, accentués par la promiscuité et le cloisonnement qui caractérisent le confinement ». (Kwasi Adu-Amankwah, secrétaire général de la CSI-Afrique)

Réseau des femmes syndicalistes au Bénin

C’est dans ce contexte extrêmement tendu que les comités de femmes des 7 confédérations syndicales affiliées à la CSI-Afrique unissent leur force au sein du REFES-B, réseau de femmes syndicalistes du Bénin, afin d’apporter une réponse coordonnée et forte à ces problématiques. Institué en 2017 dans le cadre de la stratégie unitaire de la CSI-Afrique, le REFES-B se donne pour objectif principal de militer pour la mise en œuvre de politique adéquates en matière de genre. 

Séminaire du REFES sur les outils et stratégie de lutte contre le harcèlement sexuel en milieu de travail au Bénin – Bohicon 25-26 novembre 2020

Il s’agit notamment de promouvoir l’intégration de la dimension genre dans le monde syndicale et le monde du travail formel ou informel et de mener des activités de luttes contre le harcèlement en milieu de travail. C’est donc en toute logique que ces militantes se sont réunissent régulièrement depuis octobre dernier pour établir des stratégies syndicales en faveur de la ratification de la C190 au Bénin. Loin d’être un acte symbolique, cette ratification offre une double opportunité pour le mouvement syndicale progressiste et féministe.

 

Séminaire du REFES sur les outils et stratégie de lutte contre le harcèlement sexuel en milieu de travail au Bénin – Bohicon 25-26 novembre 2020

Premièrement, elle permet une protection plus large des travailleuses. En effet, les gouvernements qui ratifient le C190 doivent mettre en place des lois et des mesures politiques pour prévenir et traiter la violence et le harcèlement dans le monde du travail. Par ailleurs, la C190 de l’OIT envoient un message fort selon lequel la violence ne fait PAS partie du travail. Elles permettent aux travailleur·euse·s de de négocier des conventions collectives qui traitent de la violence. Au fond, c’est un outil qui aide les travailleur·euse·s et les employeur·euse·s à s’entendre sur des politiques visant à prévenir et à traiter la violence sur le lieu de travail. Cela contribue de la sorte à donner aux travailleuses les moyens d’agir. Enfin, la C190 s’applique à tous les travailleur·euse·s. Elle reconnaît les emplois formels et informels comme faisant partie du monde du travail et couvre également les demandeur·euse·s d’emploi, les stagiaires, les bénévoles et les apprentis.

 

 

Deuxièmement, cette campagne en faveur de la ratification permet aux organisations syndicales de remettre ce thème en haut de l’agenda politique et d’aller à la rencontre de ses membres pour les sensibiliser sur les enjeux qu’y sont liés. Pour le mouvement syndical, les stratégies de sensibilisation dépassent de loin « la transmission d’information ». Au contraire, il s’agit de développer leur esprit critique par un processus de conscientisation ! Cet apprentissage critique permet la compréhension progressive des réalités et des mécanismes qui nous entourent (socio-économiques, culturels, politiques, etc.) pour ne plus les subir.

Non à la violence! Non au harcèlement! Oui à la ratification de la C190!

À travers les différentes actions d’éducation populaire et les différentes formations professionnelles, non seulement les syndicats répondent aux besoins spécifiques des travailleur·euse·s, mais aussi, les travailleur·euse·s eux-mêmes prennent conscience que ces enjeux ne leurs sont pas propres, mais touchent l’ensemble des travailleur·euse·s. C’est la base de la solidarité et de l’action collective pour résoudre les difficultés communes et proposer des alternatives. La conscientisation de la base permet ainsi de construire un mouvement syndical fort, autonome et démocratique qui est à même d’éradiquer toutes formes de violence sur le lieu de travail. C’est en tous cas la stratégie et l’objectif que sont fixés plusieurs partenaires de l’IFSI et nous continuerons à les soutenir dans cette direction.

[1] https://www.ifsi-isvi.be/nos-pays-d-action/syndicalisme-de-reseau-international/