03 Oct 2023 / Analyses & réflexions
Témoignage de Dibett Quintana, activiste syndicaliste colombienne
Je m'appelle Dibett Quintana. J'ai 46 ans et je travaille depuis 2002 pour l'une des plus grandes entreprises colombiennes du secteur pétrolier. Je suis mère de quatre enfants et syndicaliste. J'ai rejoint le syndicat USO (Unión Sindical Obrera) à l'âge de 21 ans ; j'en suis donc membre depuis 25 ans ! Pour moi, c’est évident qu'être membre d'un syndicat permet de sauver des vies.
Je m’appelle Dibett Quintana. J’ai 46 ans et je travaille depuis 2002 pour l’une des plus grandes entreprises colombiennes du secteur pétrolier. Je suis mère de quatre enfants et syndicaliste. J’ai rejoint le syndicat USO (Unión Sindical Obrera) à l’âge de 21 ans ; j’en suis donc membre depuis 25 ans ! Pour moi, c’est évident qu’être membre d’un syndicat permet de sauver des vies.
Discrimination à l’égard des activistes syndicaux
L’entreprise pour laquelle je travaillais avait compris avant moi que je pouvais devenir une dirigeante syndicale Rapidement, les employeurs nous ont-ils séparés, moi et d’autres syndicalistes potentiel∙les, des autres travailleur∙euses et ont essayé de nous convaincre que nous aurions un meilleur avenir si nous ne nous engagions pas dans les idées syndicales de lutte des classes et d’unité. Ils ont exercé une forte pression sur moi pour que je ne participe pas aux réunions, aux manifestations et aux grèves.
En 2013, ils sont allés plus loin. Un groupe de 44 travailleurs et 2 travailleuses ont été transférés sur un autre lieu de travail. Un lieu éloigné de l’unité et de la solidarité de nos collègues. Nous avons appelé cet endroit un camp de concentration, un lieu conçu par l’entreprise pour y envoyer et briser les dirigeants syndicaux ou les dirigeant∙es potentiel∙les. Pendant les six mois où nous avons travaillé là, nos salaires ont été réduits, nous avons été contraint∙es d’accepter des horaires de travail très difficiles et avons travaillé dans de très mauvaises conditions. Après six mois nous avons pu quitter ce camp : les patrons n’avaient pas réussi à briser notre lutte syndicale.
Harcèlement : les membres de la famille dans le collimateur
En 2004, nous avons fait beaucoup de campagnes contre le gouvernement Uribe. Nous travaillions dans une entreprise pétrolière publique et nous nous sommes opposé∙es aux privatisations que le Président voulait réaliser. Il s’en est suivi une forte répression. Nous venions de traverser une décennie marquée par de nombreux assassinats de syndicalistes et par l’exil forcé de beaucoup d’autres. De nombreuses personnes ont été licenciées, menacées, etc. Beaucoup ont eu très peur.
Les paramilitaires [soutenus par le gouvernement et les employeurs…] ont également commencé à me menacer. Ils ont fait descendre mon fils aîné du bus sur le chemin de l’école et lui ont dit que si je ne quittais pas Barrancabermeja [la capitale pétrolière de la Colombie], il se passerait quelque chose de très grave. Je suis donc partie le jour même avec mon petit garçon pour la capitale, Bogota. Nous étions tristes, mais surtout en colère d’avoir été chassés de notre maison de manière aussi violente.
Je ne suis pas la seule à avoir subi de telles choses. De très nombreuses femmes dans le monde doivent quitter leur ville en raison de leurs convictions et pour défendre les droits des travailleur∙es.
Violence contre les activistes syndicaux et les femmes
En 2016, j’étais de retour à Barrancabermeja. Entre-temps, j’étais devenue l’une des principales militantes syndicales. Cela n’était pas facile : il y a encore beaucoup de préjugés et de discriminations à l’égard des femmes, aussi dans le syndicat.
Un jour, on distribuait des tracts aux travailleur∙euses. C’était le 28 mai, la Journée internationale d’action pour la santé des femmes. Le gardien de l’entreprise m’a dit que « distribuer des tracts était illégal » et que « je ne devais pas venir ici car ce n’était pas mon horaire de travail ». Je ne l’ai pas écouté et j’ai essayé d’entrer pour continuer à distribuer les tracts. Avant même de m’en rendre compte, j’ai été battue à la porte de l’entreprise par un garde et deux policiers. J’ai eu une incapacité au travail de 21 jours. Cette première agression physique dont j’ai été victime a été classée sans suite en décembre dernier.
Franchement, je ne pensais pas vouloir reprendre mon engagement syndical après ces violences. Mais la solidarité et les conseils de mes camarades du syndicat et de ma famille m’ont beaucoup aidée. J’ai décidé de continuer car nous avions besoin les un∙es des autres pour mieux organiser notre lutte.
En 2019, j’ai été de nouveau agressée. Ecopetrol, l’entreprise publique pour laquelle je travaillais, avait déposé une plainte contre moi. Le 13 février 2019, j’ai dû, par conséquent, comparaître devant le tribunal d’Aguachica [zone à forte présence paramilitaire]. Quelques heures après avoir quitté le tribunal, on m’a retrouvée au milieu de la route, les pieds et les mains attachés, violemment battue et maltraitée.
J’étais physiquement vivante. Il n’est pas facile pour une femme d’être victime d’abus émotionnels, psychologiques, physiques et sexuels. Il m’a fallu 32 jours pour me remettre de mes blessures physiques, mais je ne sais pas encore aujourd’hui comment guérir . Garder le silence pour protéger sa propre sécurité et celle de sa famille est très difficile, car pour guérir, il faut pouvoir parler de ce qui vous est arrivé. Nous avons essayé, mais ni ma famille, ni mes amis, ni le syndicat ne sont armé∙es pour savoir comment faire face à une femme qui a subi une telle agression. Quand j’ai vu que la justice ne faisait rien et que 5 jours après l’agression, les journaux annonçaient que deux des agresseurs avaient été retrouvés assassinés dans un parc, j’ai été très choquée. Enfin, je me suis à nouveau exilée avec ma famille après 9 mois car la situation restait trop dangereuse.
Nous n’abandonnons pas ! Vive la lutte et la solidarité !
Après un exil de 2 ans, en novembre 2021, nous étions de retour car nous avons puisé de l’espoir dans la campagne politique pour le changement menée par Petro le tout premier président progressiste de Colombie.
Entre-temps, c’est grâce au soutien et à la solidarité internationale de personnes, qui souvent ne me connaissaient même pas, que j’ai retrouvé le courage. Parfois, les familles font pression pour que l’on renonce aux luttes syndicales parce qu’elles ont peur. J’ai vu la mort de si près. Je pensais que je devrais dire adieu à mes enfants, que je ne retournerais plus jamais à la maison. Ce n’est pas facile, mais maintenant je comprends qu’il faut vivre dans le présent, parler et agir en connaissance de cause et transmettre cette connaissance tous les jours sur notre lieu de travail. Nous devons continuer à penser collectivement et à avoir une conscience de classe, parce que nous avons un rêve que nous partageons tous et toutes : celui d’avoir une vie digne avec des salaires décents, et avec des opportunités pour les jeunes et les femmes.
Le syndicat nous apprend surtout ce qu’est la solidarité, l’unité, la conviction et la dignité. La formation que j’ai reçue à la Corporación Aury Sará Marrugo (CASM), l’école syndicale soutenue par la FGTB et la Centrale Générale, m’a permis de confronter mes agresseurs et de leur dire : « Je suis forte, je suis forte !” C’est aussi par la voie syndicale que j’ai appris que les femmes sont égales aux hommes. Grâce à la CASM, des femmes comme moi peuvent aussi se syndiquer et s’organiser, et nous pouvons partager nos histoires. Lorsque l’ambassadeur belge en Colombie a décidé d’utiliser mon visage et mon histoire dans le cadre d’une campagne de solidarité, j’ai compris que j’avais une mission et que tout n’était pas perdu. Je serai toujours une voix de contestation lorsque quelqu’un est maltraité ou attaqué. Parce qu’aujourd’hui, plus que jamais, nous sommes uni∙es pour sauver cette planète, la seule sur laquelle nous pouvons vivre en tant qu’êtres humains, nous les travailleurs et les travailleuses. Vive la lutte et la solidarité !
Dibett Quintana continue à réclamer justice : 1) un procès qui doit avoir lieu à Bogota et non à Aguachica, territoire sous influence des paramilitaires et où sa sécurité ne sera pas garantie. 2) Aujourd’hui, Dibett est protégée par deux gardes du corps et circule en voiture blindée. Mais ECOPETROL veut supprimer ce service parce qu’elle n’a reçu aucune menace de mort en un an. Dibett sait pourtant que, tant qu’elle réclamera justice, sa vie restera en danger. Elle a lancé une campagne soutenant ses deux demandes. La FGTB, ses centrales et des centaines de syndicalistes ainsi que plus de 10 000 personnes en Belgique, en Colombie et ailleurs ont signé la pétition. Et vous? – SIGNEZ LA PÉTITION!